Pourtant...

Il marche de long en large dans cet appartement blanc, propre et minimaliste, il ne s’arrête pas de marcher, pas encore habillé, sanglotant comme un enfant, offrant au miroir, une image d’épave, aux yeux rougis et à la lèvre pendante. 

A chaque pas il sent son parfum qui peine à se dissiper et il sait que ce soir il ne régnera plus que l’odeur de la défaite du faible qui n’a pas su garder ce qui lui était le plus cher, du moins lui semble-t-il. Il ne veut croire qu'il l'a perdue mais ce qu’il ne sait pas c’est qu’un autre a gagné, le remplaçant dans sa quête minable vers un amour qu’il n’était pas capable d’assumer. Il ne comprend pas, mais c’est normal, il ne peut comprendre que son attitude suffisante ne rassurait que lui, qu‘il n’était qu’un substitut à l’angoisse de la vie de l’autre, il s’est imaginé qu’il était fort, imbu de lui-même, jouant les matamores à l’extérieur sans se poser de questions. Pas un regard sur lui-même, pas d'hypothèses d’avenir, il était, ça se passait. Il croyait naïvement que l’image qu’il s’était forgé de sa vie soi-disant parfaite était celle qu’il montrait fièrement sans se soucier des quolibets et remarques jalouses des autres.

Cet égoïsme qu’il a savamment entretenu pendant des années, lui revient comme un boomerang, il a pensé qu’il suffisait de faire la roue, pour que l’autre accepta toutes ses fantaisies. Il a d’ailleurs aussi accepté les caprices de l’autre, lui montrant par là sa fausse générosité et la vacuité de son esprit de compromis. Pauvre soumis, à l’esprit obtus qui s’est imaginé qu’ils étaient faits l’un pour l’autre. Adepte de la fameuse méthode, il s’en convainquait tous les jours encore et encore sans voir  que leurs chemins commençaient à se séparer.

Il est là, maintenant seul, animé d’un espoir diffus que ce soit un mauvais rêve, que tout ceci s’arrête et redevienne comme avant. Il n’a pas su déceler les prémisses de ce détachement organisé, plein de sa fierté aveugle et limitée. Tout lui manque, les infimes détails qu’il croyait deviner à l’écoute de l’autre, tous ses repères qu’il avait consciencieusement balisés d’années en années, toutes ses bases acquises par sa seule intelligence atrophiée ne fonctionnant que sur une voie unique. Il s’est imaginé qu’ils étaient heureux  sans se rendre compte que sa fatuité comptait pour deux. Il vivait disait-il une existence "confortablement matérielle", alors qu’il ne vivait que pour lui sans jamais se soucier du ressenti de l’autre.

Il est sûr qu’il va réfléchir, qu’il va se remettre en question comme un pauvre égaré qui s’imagine que de dire j’ai tors résoudra tous les problèmes. Mais c’est sûr j’ai tors, comment ne l’ai-je pas compris plus tôt ? Incapable de percevoir l’aura qui entoure l’autre, la sienne n'existant plus à force de bêtise , ce n’est pas aujourd’hui qu’il  va découvrir son incompétence affective, d’ailleurs il ne la découvrira jamais. Il peut en avoir l’illusion mais ce sera alors tomber de Charybde en Sylla pour vivre une vie terne, ce qu’il mérite d’ailleurs.

Ses pleurs et gémissements continuent et il découvre une certaine perversion et un doux masochisme en allant chez l’autre sentir ou toucher les objets lui appartenant qu’elle n’a pas encore emmenés. Des souvenirs énamourés, des odeurs, ravivent sa douleur de laissé pour compte, il n’a pas de colère car il ne sait pas bien contre qui exercer sa colère, s’il avait été intelligent et ouvert, ce serait contre lui qu’elle se serait exprimée et l’on peut d’ailleurs en déduire qu’il ne se serait rien passé. Mais il est là, comme un clochard intellectuel pleurant et bavant son malheur.

Que vont dire les autres, car il ne s’est pas rendu compte que bloqué par son ego, tout le monde savait ou s’en doutait, les autres ont une importance capitale pour celui qui ne peut s’assumer tout seul. Il s’imagine vivre dans un monde où il trouvera compréhension et entraide alors qu’au lieu de cela, il ne rencontrera que moqueries et défiance. Seul, il va rester seul, car l’idéal auquel il aspire est hors de sa portée, il a besoin de quelqu’un qui le réconforte. Il fait rire toute l’assemblée, c’est si classique, on lui fera certes plaisir en critiquant l’autre, en lui jurant qu’il était parfait, mais il redevient le célibataire pesant qui ne provoque que de la pitié de circonstance, sans la compassion qu’il demande inconsciemment.

Toutes ces images pourraient défiler dans sa tête, et il pourrait se construire une espèce de base qui lui permettrait de passer les jours à venir, mais il en est incapable, accablé par le malheur injuste qui le touche. Il est perdu dans ses mots,  dans ses pensées limitées, pauvre artefact d’un monde qui le dépasse. Il ne voit pas qu’il est en train de déraper, de glisser dans l’engrenage infernal du tourment amoureux, car il l’aime à sa façon, mais il l’aime toujours et elle le sait et en profite, son étroitesse d’esprit fera les beaux jours de leur séparation. Lui, engoncé dans son costume d’amoureux transi tentera de survivre dans le souvenir malsain de l’amour que l’autre était censée lui porter.

Mais c’est un homme un vrai, la vie ne vaut plus d’être vécue, alors il pense à disparaître, mais ce qu’il ne sait pas, c’est que quand l’on disparait, on laisse quelque-chose derrière soi, ce peut-être sentimental, la souffrance étant alors trop forte ou bien alors une conséquence objective de ce que l’on a raté. Mais lui avant de construire, il a déconstruit laissant un esprit en jachère et qui d’ailleurs le restera.

Alors il réfléchit c’est-à-dire à sa petite mesure, il n’y a pas de raison, lui n’y est pas pour grand-chose. Nous y voilà, la défense des faibles qui rejettent sur les autres leur incapacité intellectuelle à se remettre en cause. Il n’a pas compris le plus mouton du troupeau que sa relation s’articulait autour d’un seul pôle l’autre, la réciproque étant vraie. Il est condamné à vivre son existence minable faite d’un confort égocentrique en s’imaginant qu’à toute chose malheur est bon et qu’après tout, la vraie vie, c’est celle qu’il vit maintenant au milieu des seuls souvenirs qui le rassurent. Il va s’acheter ainsi une vie d’intellectuel forgée aux livres de gare, il va croire se dépasser lui-même en essayant de déchiffrer quelques philosophes auxquels il ne comprendra rien, il vieillira, allant d’échec en échec, malade de l’esprit, lobotomisé à jamais de la part d’affect qui nous permet de vivre.

Sa vie sera réglée comme une horloge comtoise, il s’y accrochera pensant qu’il est bon de n’avoir pas de soucis, mais dans le fond de sa mémoire, il sera malheureux sans comprendre que l’échec est son bien personnel qu’il cultive chaque jour sans faillir.

Elle est partie ce matin, elle ne reviendra plus, Il est malheureux.

                                                                    

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