Départ

 
 

 

Je marchais sur cette étendue pale et blafarde ou le soleil ne perçait pas de ses rayons drus ces nuages gris mais pourtant lumineux. Je marchais, marchais encore dans une quête insatiable d’un but que je ne connaissais même pas.  

J’avançais courbé, vêtu de haillons, avec pour seule aide un bâton au manche noueux, comme un Moïse fatigué. Où allais-je donc de cette allure lente suivant toujours ce chemin rectiligne, ou personne ne me forçait à dévier de ma route. Cherchais-je un but, une destination une justification quelconque à cette entreprise ? Sans doute non, car j’allais, courbé, fatigué comme ces foules silencieuses à qui l’on n’ose même pas demander pourquoi elles vont.

Tel un personnage de Folon, seul, accablé ayant laissé ma vie ou plutôt l’artifice qui me servait de justification à ma survie, je ne demandais plus pourquoi j’avais choisi le départ plutôt que la mort  cheminant dans ce désert plat et jaune, craquelé par l’eau qui lui manquait tant.

J’avais pourtant essayé, essayé encore de situer mon existence chez ceux qui trahissent, j’avais essayé d’être l’un d’eux, justifiant mon ego par des postures ridicules et vaines qui ne trompaient personne. Non j’étais seul et ma destinée n’était pas parmi eux mais avec moi-même dans une recherche éperdue d’un commencement de quiétude.

Les loups n’avaient pas de temps à perdre, il fallait vivre, vivre au dépend des autres selon un cycle infernal, celui du plus fort et parfois celui du plus intelligent. C’est sans doute cela qui me paraissait cruel, car je ne ressentais aucune supériorité qui aurait pu me faire comprendre, mais plutôt une détresse intellectuelle qui me réduisait à ces moutons de panurge, n’ayant qu’un seul objectif : plaire.

Pourquoi partir mais non s’enfuir ? Car le départ est une conséquence de l’échec, il est lent tandis que la fuite espère encore et obéit à un réflexe de survie, ce n’est pas celui du départ, car la rupture est là à jamais, terrible souffrance d’une faillite de l’esprit. J’aurais pu expliquer, expliquer que la volonté si elle est présente n’a pas de caractère volontaire, que ce n’est qu’une représentation fictive de la réalité, que la conscience s’évanouit avec le temps.

Partir, marcher d’un pas pesant, dans une direction que l’on n’a pas choisie mais droit devant soi n’est que la conséquence de l’effet d’une cause perdue d’avance à vouloir se fixer des enjeux irréalistes. Ce n’est après tout qu’un isolement forcé, caractéristique du refus des autres à vouloir comprendre. 

J’arrivai alors, au bout de la route et devant moi s’étendait une mer grise, huileuse comme la mer du nord lorsqu’il n’y a pas de vent. Je troquai mon bâton contre une paire de rame et une barque robuste et me mis à naviguer le long des plages triste en un espoir d’accostage salutaire. Mais point de rivages gais et verdoyants seulement cette mer grise et le bruit du ressac qui m’emplissait peu à peu l’esprit. Je ressassai à l’envie cette désespérance, ce chemin sans but, me demandant pourquoi fallait-il toujours que j’abdique face à la horde sauvage qui m’agressait sans cesse.

Je pensai alors que je n’avais pas la force de résister et que d’ailleurs je n’avais jamais eu cette force nécessaire. Les rares fois où j’avais tenté de surmonter l’épreuve, je m’étais écroulé comme une marionnette qu’on aurait lâchée d’un coup. Je n’avais même pas le courage de faire face, j’étais un couard parmi les couards et ma faiblesse était la marque indélébile de la déchéance, comme le drogué prêt tout pour obtenir sa dose, mais pour moi il n’y avait pas de dose si ce n’est un lent  écoulement dans mes veines d’une substance nocive qui m’empoisonnait peu à peu.

Je n’avais ni force ni respect et j’avais mal de le savoir. Le salut était alors dans le départ vers des horizons que je pensais plus rassurant mais qui en fait étaient encore plus noirs. Peut-on préférer les sévices des autres à l’image de sa propre déchéance, j’ai maintenant la réponse et ce masochisme de la souffrance à laquelle j’avais consenti, était le plaisir du laissé pour compte, tristes moments où l’on se sent admis dans le cercle vertueux de l’élite destructrice. J’étais obligé de les quitter dans un dernier sursaut avant la fin que je devinais proche.

La défaite face aux autres était un suicide assisté par ceux-là qui même me rejetaient car, l’image de l’exclu n’est pas satisfaisante à moins que celui-ci s’en aille comme un vieillard qu’on ne veut plus nourrir. C’est exactement ce que j’étais en train de faire, mais c’était ma décision, assez d’être celui que l’on montre du doigt et qui justifie la haine. Je partais avant le rejet, mais au fond n’est-ce point la même chose, la sentence sera toujours la même, mais les aveux seront facilitateurs de l’exclusion, justification satisfaisante face aux bonnes gens pétris de leur amour vicié du prochain.

Juif errant, légende réelle, ais-je perdu la mort ? Il faudrait que j’aie eu le courage de la perdre pour retrouver la vie,  mais je suis condamné à errer dans l’antichambre des exclus, paradis des pauvres.

 

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